La ReFeRe

Le Travail

selon le directeur-en-chef de la ReFeRe,
une interview de Radio Alter Ego. Novembre 2017.

Treize minutes instructives et édifiantes.
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La ReFeRe


Lire la transcription, ci-dessous

AE – Chers auditeurs, Radio Alter Ego a l’immense plaisir, que vous allez partager, de recevoir le Directeur-en-Chef de la ReFeRe, lui-même, et de recueillir ses paroles, toujours extrêmement intelligentes et éclairantes.

C’est un événement rare, j’ai eu l’honneur, en 2011, de vous interroger, Monsieur le Directeur-en-Chef, et, au nom de tous ceux qui nous écoutent oreilles béantes et tendues, je vous souhaite le bonjour. À l’époque (entre parenthèses, vous n’étiez que directeur – je vous félicite donc de tout mon cœur de votre promotion) vous aviez répondu à 5 questions et annoncé le Printemps de la ReFeRe. Ce printemps est advenu, nous le savons tous, et il dure toujours.

Cher Directeur-en-Chef, chères auditrices, chers auditeurs et les autres, nous allons durant ces quelques moments que vous avez bien voulu soustraire à vos occupations faire le tour de la question, que vous avez souhaiter traiter, du travail.


DeC – en effet, et je salue les gens devant le poste, j’ai réécouté souvent cette interview et je l’apprécie toujours autant. Nous y fûmes remarquables.


AE – Merci !

Nous ne reviendrons pas sur la question de la parité, résolue évidemment.

Si vous le voulez-bien, et pour que tout soit clair, commençons par tenter de définir le travail.

Ce n’est pas simple. Peut-on se contenter de dire que c’est l’activité rémunérée de production de biens et de services ? Je propose, connaissant la ReFeRe et sans préjuger de ce que vous allez dire, qu’on peut tout de suite retirer l’adjectif rémunéré. Le mot biens choque aussi dans ce contexte car on n’est pas du tout dans le système capitalistique. On pourrait le remplacer par valeurs – produire de la valeur à destination d’autrui… Car, c’est sûr, vos personnels produisent du contentement et même du ravissement pour les visiteurs. Quant à activité… pourquoi pas avec de l’imagination.

Mais je crois, cher Directeur en Chef, que vous tenez au mot travail. Sans doute pas dans le sens de labor/labeur, le travail qui est le lot de tous les humains à cause du péché originel. Ni celui des parturientes. Voilà déjà le sujet bien cadré.

Je vous laisse la parole : dites-nous pourquoi les personnages qui forment le personnel, c’est-à-dire vos sujets personnellement, travaillent ?


DeC - Le personnel est au travail, il représente le travail, il est le travail avec toutes ses postures, ses joies et ses peines. Car sinon, que feraient ces personnes sur mon domaine ? Elles s’ennuieraient, se sentiraient démobilisées, désoccupées, démoralisées et même stigmatisées. On nous a appris à l’école, et ça je l’ai retenu, que l’oisiveté est la mère de tous les vices.

Or je tiens à ce que la ReFeRe, qui est déjà reconnue comme le réseau social par excellence, brille par la vertu, ennemie du vice.

Le travail est l’honneur de l’Homme avec une majuscule et même des petites gens, même des minuscules.

À la ReFeRe, les enfants et les handicapés – des deux sexes paritairement – travaillent. Le travail est à portée de tous et de tout. Même le bois travaille !

Imaginez ce monde du travail. La soupe du cheminot qui arrive en principe à point, les habits qui sont fournis, le transport qui est gratuit. Avec la considération et la reconnaissance du public !

Et quand ce public n’est pas là, tant que personne ne regarde, sachez-le, ils font ce qu’ils veulent, pourvu qu’on les retrouve exactement à leur poste au moindre coup d’œil sur eux.


AE – C’est effectivement un statut très avantageux, sous votre direction très bienveillante et même extrêmement généreuse.

Une actualité m’oblige à pointer la question du code du travail. Pensez-vous le réformer, le modifier, bref l’améliorer ?


DeC – Le Code du travail ne sera plus modifié et celui en vigueur restera l’alpha et l’oméga de l’encadrement juridique et moral du travail des employés de la ReFeRe. Grâce aux réductions successives que je lui ai fait subir depuis 2001, grâce au soin qui a été apporté à sa rédaction, grâce aussi à la volonté mise en œuvre – que je mets en œuvre - pour l’appliquer, il règle de façon avantageuse, directe, rapide, définitive les relations du patron que je suis avec ses employés. Jugez-en, je vous lis simplement, ce ne sera pas long, le Code du travail en vigueur, article premier (et dernier) :

« Le travail est obligatoire ».


AE – Ah ! Tout y est, dans une formule saisissante et facile à retenir. Sous d’autres cieux, on a des codes monstrueusement détaillés, affreusement difficiles à déchiffrer pour un travailleur moyen, qui plus est très pénibles à soulever autant qu’à améliorer. Des codes justement critiqués qui donnent des droits aux travailleurs, du grain à moudre aux syndicats, des avantages à ceux qui bossent au noir et des honoraires aux avocats.

Votre code est parfait mais d’aucuns ne pourraient-ils pas se demander si, dans certaines circonstances, il se pourrait qu’il ne s’applique pas exactement et directement à toutes les situations dans lesquelles votre personnel a à se trouver, excusez-moi…


DeC – Mais il y a justement le Règlement.

Les gens qui travaillent à la ReFeRe, vous le savez précisément par les proférations de la Robote, sont achetés à des fournisseurs basés en Extrême Orient. Là-bas, les coutumes et les règlements sont ce qu’ils sont. On les oublie. Deux conditions sont mises à l’embauche : avoir la tête et la taille de l’emploi et accepter à la fois le Code du travail et le Règlement. Le Règlement, c’est sa force, réglemente tout, il est ubiquiste, universel et général.


AE – Pardon. Permettez moi une question qui elle aussi n’est pas sans lien avec une certaine actualité : pourquoi pas de main d’œuvre locale ? Nous reviendrons au Règlement dans une minute.


DeC – Qui dit locale dit lieu. Quel lieu ? La ReFeRe étend son réseau en archipel au milieu de nulle part, alors la main d’œuvre est immigrée. Mes employés voyagent par groupes, confortablement.


AE – Fort bien ! Cher Directeur-en-Chef, ce Règlement... Il a très peu été diffusé à l’extérieur, si je ne me trompe. Les grands principes ou peut-être, un article choisi ?


DeC – Si vous voulez… Le Règlement s’applique à tous, en tous lieux, tout le temps et stipule en gros que les personnels obéissent aux ordres que je donne et qu’il leur en cuira littéralement s’ils s’écartent de ce principe. Il, le Règlement, prévoit en effet que le récalcitrant, le factieux, le tire-au flanc sera précipité dans le Très Haut Fourneau, sur l’îlot le Nucléaire, amené là par une action des forces spéciales.


AE – Oh ! Des forces spéciales !?


DeC – Oui, c’est moi.


AE – Impressionnant en effet ! Mais… le châtiment ne peut pas s’appliquer aux réfractaires… pardon !


DeC – J’apprécie cette pointe d’humour noir – noir comme dans un four. Cependant, aucun employé n’a jamais pu être puni ainsi. Parfaitement surveillé par le Cafard – puis par le Cafardeau – l’îlot le Nucléaire n’a jamais recelé le moindre tire-au flanc. C’est avéré.

Bon, ailleurs, quelques individus ont voulu se faire travailleurs détachés, ils ont été simplement collés – un nombre énorme d’heures de colle. Vu la conjoncture et le prix de chaque individu importé, il m’est impossible de m’en séparer dans ces conditions, comprenez-moi. En plus, ça fait partie d’un plan qui m’arrange.


AE – Bien sûr, l’économie prime sur la morale, c’est normal.

Amies auditrices, amis auditeurs et les autres genres, en avons-nous, si j’ose dire, fini avec le Règlement ? Encore un mot, rapidement ?


DeC – Il me faut en effet insister sur le caractère évolutif, adaptatif du Règlement, qui est original. Si un cas se présente qui ne correspond pas de près ou de loin au Règlement tel qu’il est, j’ajoute l’article qui manque.

Un des premiers ajouts – vous m’avez demandé un morceau choisi, le voici – donne bien le ton de tous les autres. Le contexte a été que les rambardes et autres garde-corps et cages autour des échelles verticales se sont révélés pénibles à fabriquer et à installer. Il en manque beaucoup, effectivement et c’est horriblement vertigineux par endroits. L’article ad hoc stipule donc que tout personnel imprudent ou maladroit qui fait une une chute est considéré comme ayant abandonné son poste.

Bon, comme je l’ai dit, je ne le fonds pas, il est considéré comme travailleur détaché…


AE – Ce Règlement est un modèle de souplesse, je dirais même de flexibilité en termes de sécurité. En tout cas, il innove par rapport à la plupart des règlements d’entreprise qui sont d’un compliqué… Je suppose qu’il n’y a pas de récriminations, à part de certaines ONG dont c’est le fonds de commerce. Le personnel est content de son sort ?


DeC – Évidemment. Tout le monde est satisfait, notamment du soin que je mets à attribuer des postes de travail sinon intéressants, du moins très valorisants. Sachez qu’aucun personnel, faisant fonction de promeneur, de piocheur, de cheminot ou autre n’est installé dans une partie cachée de mon univers. Tous sont visibles et donc admirables. Et puis, j’ai un plan pour eux…


AE – Ah, vous n’allez pas les remplacer par des robots et des algorithmes comme c’est la tendance dans le monde industriel évolué ? Déjà le Dépôt règle, et de belle manière, le problème des déchets sans aucun intervenant humain, mais...


DeC – Ah pas du tout, mes installations industrielles, mes gares, mes établissements et lieux artistiques sans personne ? Ce serait bien malheureux.

Entre nous, les statues des patafixistes pourraient être produites pareilles par une machine à modeler automatique. Mais j’aime bien, et tout le monde apprécie, que les espaces soient peuplés. Même si ça coûte cher ! Certes, les Figurants ne mangent pas et les Admirateurs habillés tous pareil sont meilleur marché et c’est pour ça qu’il y en a beaucoup.

Mon plan, vous admettrez que je peux en être fier, est un plan de préservation de l’emploi avec renouvellement des métiers !


AE – Tous les dirigeants, tous les intellectuels, tous les ferrocrates vont vous envier !


DeC – Permettez que je expose mon plan dans ses très grandes lignes seulement, je n’ai pas beaucoup de temps et la Robote se fera un plaisir de feuilletonner les détails, en réponse aux questions très judicieuses qu’elle se sera posées.

Voilà. Eh bien, j’ai prévu de renouveler le contrat de chacun, aux mêmes conditions, mais en les changeant de poste. En gros, les badauds – les passagers, les promeneurs, les artistes - deviendront ouvriers au sens large et vice versa. Leur motivation sera renouvelée, on verra des têtes nouvelles, etc. Il est clair que la reconversion demandera une mise à niveau, une redéfinition du périmètre d’employabilité pour chacun, le recalcul des points de pénibilité – qui ne sont d’ailleurs pas pris en compte mais ils ne l’ont pas compris -, avec aussi bien sûr une formation pour aborder le stage de mise en condition préalable à leur période d’essai. Il faudra un rhabillage complet pour certains, entre autres points à ne pas négliger.

Imaginez ! Pas facile de transformer un mécanicien de maintenance des grues vertes ou un pelleteur de produits chimiques toxiques en monsieur qui court pour prendre l’autorail en tenant son chapeau. Et dans l’autre sens, c’est pareil.


AE - Vous savez bien que vos employés sont de bonne composition et ne demandent qu’à vous faire plaisir.


DeC – Oui, par constitution. Il faudra pourtant y aller doucement, car il pourrait y avoir de la casse, ce qui ferait des frais. Déjà, je suis en train d’aménager un lieu pour transformer mes personnels et leur offrir un bref stage. Je vous livre son nom : Pôl-Ré pour pôle réemploi. Facile à retenir, pas facile à trouver pour l’instant mais tout sera bien organisé.


AE – Vous êtes un homme très occupé, mon cher Directeur-en-Chef, et nous nous quitterons sur cette annonce formidable, que vous avez bien voulu réserver aux auditeurs, trices, etc. de Radio Alter Ego. Un grand merci pour cet éclairage sur le travail, qui montre que la pénibilité récriminative, les chicanes autour du droit du travail, la destruction des emplois et des employés, la soumission au benchmarking et aux élections, la retraite et ses frustrations, le productivisme, les fluctuations de la hiérarchie des normes, l’inactivité de ceux qui ne font rien et tous ces problèmes et même ces maux du XXIe siècle ne sont pas une fatalité. Il suffit d’une imagination et d’une volonté comme la vôtre.

Encore merci et nous espérons tous que vous reviendrez sur notre antenne. Bon succès pour le Pôl Ré !


Auditoire, bonsoir.

Cette émission est mise en ligne sur les sites d’Alter Ego et de la ReFeRe où vous pourrez la réécouter perpétuellement.